KRAUSE (K. C. F.)

KRAUSE (K. C. F.)
KRAUSE (K. C. F.)

KRAUSE KARL CHRISTIAN FRIEDRICH (1781-1832)

Couramment rangé parmi les épigones des grandes philosophies de Fichte et de Schelling, Krause, qui ne réussit jamais à obtenir en Allemagne les postes universitaires qu’il convoitait, ni à s’y imposer de quelque façon, connut en Espagne, par son œuvre, un succès étonnant dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il y fut introduit par Julian Sanz del Rio, qui, se rendant en Allemagne, avait rencontré un disciple belge du philosophe, Guillaume Tiberghien (Exposition du système de Krause , Bruxelles, 1844; Théorie de l’infini , 1846; Les Commandements de l’humanité , 1872). Ainsi Krause, qui, autour de 1808, avait vu en Napoléon l’homme capable de réaliser son idéal d’une «ligue de l’humanité», devint-il le maître à penser de toute une génération d’intellectuels espagnols soucieux de l’évolution de leur pays (P. Jobit, Les Éducateurs de l’Espagne moderne , Paris, 1936). Mais l’esprit krausien se retrouve aussi dans l’anarchie de Proudhon, avec laquelle il a beaucoup de ressemblances. L’abondante production du penseur allemand n’a d’ailleurs cessé, depuis ses premiers disciples von Leonhardi et Ahrens, de faire l’objet de publications posthumes ou d’inspirer des études telles que la Théorie de la détermination sur la base du panenthéisme de Krause (1910) de J. De Boeck, élève de Tiberghien.

Né à Eisenberg en Thuringe, Krause était entré en 1797 à l’université d’Iéna, où il fut l’élève de Fichte et de Schelling et où il étudia la théologie, la philosophie, les mathématiques. Reçu privat-dozent en 1802 avec une dissertation sur les rapports de la philosophie et des mathématiques, il commença à enseigner et publia ses premiers ouvrages: Grundlage des Naturrechts (1803), Grundriss des historischen Logik (1803), Grundlage eines philosophischen Systems der Mathematik (1804), Entwurf des Systems der Philosophie. Anleitung zur Naturphilosophie (1804). S’étant établi à Dresde en 1805, Krause s’y lia avec les milieux maçonniques et fut reçu dans la loge des «Trois Épées», mais son adhésion à ce courant de pensée, dont on retrouve les thèmes dans son System der Sittenlehre (1810), fut bientôt mise à mal à la suite de certains de ses écrits où, non content d’attaquer telle ou telle tradition maçonnique, il se mettait à divulguer les symboles secrets des loges. Après avoir, en 1814, vainement espéré remplacer Fichte à Berlin, Krause revint à Dresde et, en 1823, se vit refuser une autre chaire à Göttingen, d’où il dut s’exiler en 1831 pour des motifs politiques. Il gagna Munich, où Schelling l’empêcha d’obtenir un poste à l’université et où il mourut. Malgré ses déboires, Krause, en ses dernières années, avait écrit plusieurs ouvrages (publiés, pour la plupart, après sa mort et traduits partiellement en français par L. Buys, dans Le Système de la philosophie , Leipzig, 1892-1895):Abriss des Systems der Philosophie (1825); Vorlesungen über das System der Philosophie (1828); Abriss des Systems der Logik (1828); Abriss des Systems der Rechtsphilosophie (1828); Vorlesungen über die Grundwahrheiten der Wissenschaft (1829; 3e éd., 1911).

La philosophie de Krause confère à la réalité une signification organiciste, liant étroitement l’unité et la diversité dans une sorte de «panenthéisme». De même que la réalité rassemble tout ce qui va de Dieu à l’homme, de la nature à l’histoire, la «science» doit, selon Krause, pouvoir unir l’analyse et la synthèse, la conscience originaire et absolue de la divinité et la conscience dérivée et parcellaire de ses manifestations. Bien qu’élève de Fichte et de Schelling, Krause insiste sur le singulier concret: s’il existe une science idéale qui a pour objet l’être essentiel et éternel, la science réelle a pour tâche d’être attentive au vivant et à l’individuel. Mais, comme ceux-ci sont des reflets ou des «organes» de l’unité originaire, l’expérience et la raison, l’intellect et l’intuition, l’idéal et le réel s’allient dans une forme de savoir ordonné où apparaît l’unité dynamique et profonde des termes de chaque couple. La science possède ainsi une intentionnalité proprement religieuse: on ne comprend, en effet, les aspects les plus divers de la réalité qu’en la reconnaissant comme unifiée en Dieu.

Krause en vient ainsi à condamner toute tentative de séparer en domaines distincts et exclusifs les multiples activités humaines: l’art, la religion et la morale ne peuvent être compris que de manière organique, c’est-à-dire selon les liens nécessaires qui les unissent à travers leurs formes historiques toujours changeantes. Cela implique qu’on ne puisse, bien que le Christ soit un des plus hauts représentants de l’humanité, considérer sa révélation comme étant achevée. La vertu, qui n’est qu’un développement harmonieux des dispositions propres à chacun en son temps et dans son milieu, peut et doit revêtir des formes d’expression aussi nombreuses que celles de l’humanité au fil des âges.

Reprenant, par ailleurs, des conceptions caractéristiques de la fin du XVIIIe siècle allemand, notamment le thème de l’éducation (Bildung ), Krause voit dans l’histoire un processus de formation analogue à celui de l’individu, un long et pénible cheminement auquel chaque peuple est appelé à contribuer à sa manière, mais qui exige que soient dépassés les contrastes entre ethnies, nations ou partis. Or ce dépassement, pour Krause, doit se faire par le truchement d’une immense fédération, la «ligue de l’humanité» (Menschheitsbund ), regroupant toute une pyramide d’associations, dont chacune a son statut juridique propre, mais qui sont toutes corrélatives les unes avec les autres. Cette théorie de la société humaine, qui se distingue à la fois de l’étatisme de Hegel et de l’individualisme de Fichte, explique peut-être le succès posthume de ce penseur qui avait passé sa vie en quête d’une chaire.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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